Est-ce que l’amour romantique peut donner du sens à une vie ?

Oui ! Proposons une illustration de l’amour romantique avec un livre de Carlos Ruiz Zafon.

 

Les lumières de septembre – Carlos Ruiz Zafon

Ci-dessous sont rassemblés quelques extraits d’un livre que j’ai lu récemment et qui m’a ému. C’est le dernier tome d’une trilogie de Carlos Ruiz Zafon, un auteur espagnol en vogue.

Le livre commence par une lettre d’Ismaël, un pêcheur local de Cravenmoore. La lettre est écrite chronologiquement après la fin de l’aventure extraordinaire que Irène et Ismaël vont vivre dans la Baie bleue. Il n’a plus de nouvelle d’Irène, son amoureuse et ce manque de nouvelle le condamne à revivre ses souvenirs. Je compte sur votre imagination pour combler les  allusions et les non-dits.

Lettre de Ismaël à Irène

Chère Irène,

Les lumières de septembre m’ont habitué à me souvenir de l’empreinte de tes pas disparaissant avec la marée. Je savais déjà, alors, que l’hiver ne tarderait pas à effacer le mirage du dernier été que nous avons vécu ensemble au bord de la baie bleue. Tu serais surprise de voir que pratiquement rien n’a changé depuis lors. Le phare se dresse toujours en sentinelle dans les brouillards, et la route longeant la plage de l’Anglais est à peine plus qu’un sentier qui serpente dans le sable sans mener nulle part.

Les ruines de Cravenmoore se dessinent au-dessus des arbres, silencieuses et enveloppées dans un manteau d’obscurité. Dans les occasions, de moins en moins fréquentes, où je m’aventure sur le voilier dans la baie, je peux voir les vitres brisées des fenêtres de l’aile ouest briller comme des signaux fantasmagoriques dans la brume. Parfois, envoûté par le souvenir de ces jours où nous traversions le port pour rentrer au port à la tombée de la nuit, il me semble que les lumières scintillent dans l’obscurité. Mais je sais qu’il n’y a plus personne là-bas. Personne.

Amour romantique

Amour romantique

Tu te demandes peut-être ce qu’est devenu la Maison du Cap. Eh bien, elle est toujours là, solitaire, affrontant du haut de la falaise l’océan infini. L’hiver dernier, une tempête a emporté ce qui restait du petit embarcadère de la plage. Un riche bijoutier venu d’une ville anonyme a été tenté de l’acheter pour une bouchée de pain, mais les vents de ponant, et les coups de bélier des vagues contre les falaises ont eu vite fait de le dissuader. Le sel s’est incrusté dans la blancheur du bois. Le sentier secret qui mène à la lagune est aujourd’hui une jungle impénétrable d’arbustes sauvages et de branches mortes.

Certains fins d’après-midi, quand le travail au port me le permet, Je prends ma bicyclette, et vais jusqu’au cap admirer le crépuscule depuis le porche suspendu au dessus des falaises : je suis seul en compagnie d’une bande de mouettes qui se sont attribué le statut de nouveaux locataires sans passer par l’étude d’un notaire. De là, on peut voir la lune se lever à l’horizon et dessiner une guirlande d’argent du côté de la grotte des Chauve-Souris.

Je me rappelle t’avoir parlé un jour de la fabuleuse histoire d’un sinistre pirate dans le navire avait été englouti une nuit de 1746. Je t’ai menti. Aucun contrebandier ou boucanier féroce ne s’est jamais aventuré dans ces ténèbres. Pour ma défense, je peux te dire que c’est le seul mensonge que tu n’as jamais entendu de ma bouche. D’ailleurs, tu l’as probablement su depuis le début.

Ce matin, pendant que je démêlais les mailles d’un filet pris dans les récits, cela m’est arrivé encore une fois. Pendant une seconde, j’ai cru t’apercevoir sou le porche de la Maison du Cap, en train de regarder silencieusement l’horizon, comme tu aimais le faire. Lorsque les mouettes se sont envolées, j’ai compris qu’il n’y avait personne. Au loin, chevauchant les brumes, il y avait le Mont-Saint-Michel, comme une île fugitive déposée par la marée.

Parfois, je pense que tout le monde est parti très loin de la Baie bleue, et que je reste seul, pris au piège du temps, attendant en vain que la marée pourpre de septembre me ramène autre chose que des souvenirs. Ne te fais pas trop de souci pour moi. La mer est coutumière de ces choses : avec le temps, elle ramène tout, particulièrement les souvenirs.

Je crois, si j’en fais le compte, ce sont déjà cent lettres que je t’ai expédiée à la dernière adresse parisienne que j’ai pu obtenir. Je me demande parfois si tu en as reçu quelques-unes, si tu te souviens encore de moi et de ce petit matin sur la plage de l’Anglais. C’est possible, comme il est possible que la vie t’ait emportée loin d’ici, loin des souvenirs de la guerre.

Rappelle-toi comme la vie était beaucoup plus simple, alors. Mais qu’est-ce que je dis ? Bien sûr que non. Je commence à croire que je suis le seul, pauvre idiot, à revivre encore, une à une, toutes ces journées de 1937, quand tu étais ici, près de moi.

Ismaël

Scène d’amour romantique au milieu du livre entre Irène et Ismaël

Ismaël invite Irène à venir découvrir sur son voilier, un endroit secret difficilement accessible sur la côte.  On y décrit à la fois univers éblouissant et somptueux de la lagune intérieure et le jeu de séduction que se livrent les deux amoureux. Malheureusement, je n’ai que l’extrait en espagnol – il s’agit donc de ma traduction :

En seulement quelques minutes, le bateau ouvrit sa voie à travers le courant qui l’emportait au bout du cap et entra dans la Baie Noire. La lumière du matin sculptait des silhouettes sur les parois des falaises qui formaient une bonne partie de la côte de Normandie, murs de roche faisant face à l’océan. Les reflets du soleil sur l’eau dessinaient des scintillements aveuglants de mousse et d’argent en fusion. Le vent du nord poussa la voile avec force, la quille coupant la surface comme une dague. Pour Ismaël, c’était une simple habitude, pour Irène, c’était les Milles et une nuits.

Aux yeux d’un marin novice comme elle, ce spectacle exubérant de lumière et d’eau semblait la promesse invisible de mille aventures et d’autant de mystères qui n’attendaient qu’à être découverts sous la surface de l’océan. A la barre, Ismaël se montrait inhabituellement souriant, et menait le voilier à la lagune. Irène, victime consentante de l’envoûtement de la mer […]

Bientôt, le vent arrière les conduisit jusqu’à l’entrée de la lagune. Un étroit passage entre les roches esquissait une bouche dans un port naturel. Les eaux de la lagune, d’à peine trois ou quatre mètre de profondeur, était un jardin d’émeraude transparentes, et le fond sablonneux ondulait comme un voile de toile blanche à ses pieds. Irène contemplait bouche bée la magie que l’arc de la lagune cachait à l’intérieur. Un banc de poisson dansait sous la coque du Kyaneos, comme des fléchettes d’argent brillant par intermittence.

– C’est incroyable – balbutia Irène

– C’est la lagune – déclara Ismaël, plus prosaïque.

Ensuite, pendant qu’elle était toujours sous les effets d’une première visite dans ce lieu, le jeune homme en profita pour abaisser les voiles et ancrer le bateau. Le Kyaneos se balança lentement, comme une feuille dans le calme de l’étang.

– Bien, Tu aimes cette grotte ou non ?

Pour toute réponse, Irène lui offrit un sourire de défi et sans quitter les yeux des siens, de défit de ses vêtements lentement. Les pupilles d’Ismaël s’élargirent comme des plats. Son imagination n’avait pas anticipé un tel spectacle. Irène armé d’un maillot de bain succint […]. Après l’avoir étourdi quelques secondes, juste assez pour ne pas le laisser s’habituer, elle sauta dans l’eau et s’immergea sous la feuille des reflets ondulants. Ismaël avala sa salive. Ou il était très lent ou cette fille était trop rapide pour lui. Sans réfléchir une deuxième fois, il sauta dans l’eau après elle. Il avait besoin d’un bain.

Ismaël et Irène nagèrent jusqu’à l’entrée de la grotte des Chauve-Souris. Le tunnel se dessinait dans la terre comme une cathédrale sculptée dans la roche. Un faible courant venait de l’intérieur et caressait la peau sous l’eau. L’intérieur de la caverne marine s’élançait en forme de dôme, couronnée par de longs pics de roches pendant dans le vide comme des larmes de fer gelé. Les reflets de l’eau découvraient mille et un recoins entre les roches, et le fond sablonneux acquérait une phosphorescence fantomatique qui tendait un tapis de lumière vers l’intérieur.

sable lumière

sable lumière

Irène s’immergea et ouvrit les yeux sous l’eau. Un monde de reflets évanescents dansait lentement face à elle, peuplé par des créatures étranges et fascinantes. De petits poissons dont les écailles changeaient de couleur suivant la direction de la réflexion de la lumière. Des plantes iridescentes sur la roche. De minuscules crabes courant sous le sable sous-marin. La fille resta à contempler la faune qui peuplait la caverne jusqu’à ce qu’elle manque d’air.

– Si tu continues cela, tu vas partir en queue de poisson, comme les sirènes – dit Ismaël.

Elle lui lança un clin d’œil et l’embrassa sous dans faible clarté de la caverne.

– Je suis déjà une sirène – murmura-t-elle, s’avançant dans la caverne des Chauve-souris.

Amour romantique et haine, lumière et noirceur

On voit que l’écrivain travaille beaucoup sur la lumière et les couleurs pour souligner la féerie de la scène. Le kaléidoscope est d’ailleurs un des thèmes récurrents de l’écrivain. Le spectacle est fascinant et on comprend sans peine que les deux vivent la plus belle journée de leur vie, à la fois magique et romantique. Cette journée de lumière contraste avec l’ombre de la haine avec laquelle ils ont affaire.

A travers le récit, on voit que c’est le décors magnifique qui rend Irène d’humeur sensuelle. En revanche, c’est le regard et le geste d’Irène qui enlève ses vêtements qui électrise Ismaël.

 

Lettre de Irène à Ismaël

Des événements tragiques vont les séparer, et la guerre va prolonger leur séparation. Cependant, jamais ils ne pourront oublier cet amour romantique qui aura marqué leur existence, comme en témoigne la lettre ci-dessous d’Irène à Ismaël. MAIS Attention, ne la lisez pas si vous souhaitez lire le livre parce que cette lettre clôture le livre !  Et gardez un  mouchoir à votre portée…

Ici aussi, il s’agit de ma traduction :

Cher Ismaël,

Il s’est passé beaucoup de temps depuis la dernière fois que je t’ai écrit. Trop. Finalement, il y a à peine une semaine est arrivé le miracle. Toutes les lettres  que, pendant ces années, tu as envoyées à mon ancienne adresse, me sont revenues grâce à la bonté d’une voisine. Une pauvre vieille dame âgée de presque nonante ans ! Elle les a gardées durant tout ce temps, en attendant qu’un jour, quelqu’un vienne les reprendre.

Ces derniers jours, je les ai lues, relues et lues encore jusqu’à satiété. Je les ai gardées comme le plus cher de mes trésors. Les raisons de mon silence, de cette longue absence, me sont difficiles à expliquer. Spécialement à toi, Ismaël. Spécialement à toi.

Ces deux jeunes sur la plage étaient loin d’imaginer que le matin où l’ombre de Lazarus Jann s’éteignit à tout jamais, une ombre bien plus terrible allait s’abattre sur le monde. …

Quand je perdis le contact avec toi durant les terribles années de la guerre, je t’écrivis cent lettres qui n’arrivèrent jamais nulle part. Je me demande encore où elles sont, où sont arrivés ces nombreux mots, toutes ces choses que je devais te dire. Je veux que tu saches que, pendant ces temps terribles d’obscurité, ton souvenir, la mémoire cet été à la Baie Bleue, fut la flamme qui me maintint en vie, la force qui m’aida à survivre jour après jour.

Tu sauras que Dorian s’est enrôlé dans l’armée et a servi dans le nord de l’Afrique pour deux ans, il est revenu de là avec un lot absurde de médailles bidons et avec une blessure qui le fera boiter pour le reste de ses jours. Il fut un des chanceux. Il revint. Il te réjouira de savoir que finalement, j’ai obtenu un emploi dans un cabinet de cartographes de la marine marchande et que dans les moments où sa petite amie Michelle le laisse libre (tu devrais la voir…) il parcourt le monde avec sa boussole de bout en bout.

Maintenant, je vais te raconter sur Simone. J’envie sa force et son courage qui nous a fait avancer tant de fois. Les années de guerre ont été difficiles pour elle, peut-être plus que pour nous. Elle n’en a jamais parlé, mais parfois, quand je la vois en silence, face à la fenêtre, regardant les gens passer, je me demande ce qui occupe ses pensées. Elle ne veut déjà pas quitter la maison et passe les heures avec l’unique compagnie d’un livre. C’est comme si elle avait traversé un pont que je ne peux pas rejoindre… Parfois, je la surprend en train de contempler de vieilles photos de papa, pleurant en silence.

Et quant à moi, je suis bien. J’ai quitté l’hôpital Saint-Bernard depuis un mois, celui où j’ai travaillé pendant deux ans. Ils vont le démolir. J’espère qu’avec le vieux bâtiment, s’en iront également tous les souvenirs de souffrance et d’horreur que j’ai vus pendant les jours de guerre. Je crois que je ne suis plus la même, Ismaël. Quelque chose s’est passé en moi.

J’ai vu beaucoup de choses que jamais je n’aurais crues possibles. Il y a des ombres dans ce monde, Ismaël. Des ombres bien pires que cette chose contre laquelle toi et moi avons combattu cette nuit de Cravenmoore. Des ombres à côté desquelles Daniel Hoffmann est à peine un jeu d’enfants. Des ombres qui viennent de l’intérieur de chacun de nous.

Parfois, je me réjouis que papa n’est plus ici pour les voir. Mais tu vas croire que je suis devenue une nostalgique. Rien de cela. Aussitôt que j’ai lu ta dernière lettre, mon coeur a fait un bond. C’était comme si le soleil était apparu après dix années de jours noirs et pluvieux. Je me suis revu marcher sur la Plage de l’Anglais, l’île du phare et sillonner en voilier à bord du Kyaneos. Toujours, je me souviendrai de ces jours comme des plus merveilleux de ma vie.

Je vais te confier un secret. De nombreuses fois, pendant les longues nuit d’hiver de la guerre, quand les coups de feu et les cris résonnaient dans l’obscurité, je laissais mes pensées m’emporter encore une fois là à tes côtés, en ce jour que nous avons passé sur l’île du phare. Si seulement nous n’avions jamais quitté ce lieu. Si seulement ce jour ne s’était jamais terminé.

Je suppose que tu demandes si je me suis marié. La réponse est non. Ce ne sont pas les prétendant qui auront manqué, ne vas pas croire. J’ai encore un certain succès. Il y a eu quelques petits amis. Des allées et venues. Les jours de guerre ont été les plus difficiles à passer en solitaire, et je ne suis pas aussi forte que Simone. Mais rien de plus. J’ai appris que la solitude est parfois un chemin qui mène à la paix. Et pendant ces mois, je n’ai rien voulu de plus que cela, la paix.

Et c’est tout. Ou rien. Comment t’expliquer tous mes sentiments, tous mes souvenirs de ces années? Je préférerais les effacer par une attaque cérébrale.  Je voudrais que mon dernier souvenir soit celui de cette matinée sur la plage et découvrir que tout ce temps n’a rien été qu’un long cauchemar. Je voudrais redevenir une jeune de 15 ans et ne pas comprendre le monde qui nous entoure, mais cela n’est pas possible.

Je ne veux déjà plus écrire. Je veux que la prochaine fois que nous parlerons soit en face à face.

Dans une semaine, Simone ira passer quelques mois avec sa soeur en Aix-en-Provence. Ce jour-même, je reviendrai à la gare d’Austerlitz et prendrai le train de Normandie, comme je le fis il y a dix ans. Je sais que tu m’attendras et que je te reconnaîtrai parmi les gens, comme je te reconnaîtrais même si mille ans passaient. Je le sais depuis toujours.

Il y a une éternité, dans les pires jours de la guerre, j’ai fait un rêve. Je retournais courrir sur la Plage des Anglais avec toi. Le soleil se couchait et l’îlot du phare se distinguait dans le brouillard. Tout était comme avant : la Maison du Cap, la baie, même les ruines de Cravenmoore dans le bois. Tout sauf nous. Nous étions un couple de petits vieux. Déjà, tu ne naviguais plus et moi j’avais les cheveux si blanc qu’ils paraissaient de la cendre. Mais nous étions ensemble.

Depuis cette nuit, je sais qu’un jour, peu m’importe quand, arrivera notre moment. Que dans un lieu lointain, les lumières de septembre s’allumeront pour nous et que, cette fois, il n’y aura plus d’ombres sur notre chemin.

Cette fois sera pour toujours.

Amour romantique et le sens de la vie

J’espère que cette lecture vous a plu. Au-delà de cela, le message que je voulais faire passer avec cette page, est que l’amour romantique est quelque chose qui peut parfois bouleverser une vie. C’est une force qui peut transformer une vie faite de banalité et d’habitudes en un sublime conte de fée rempli d’émotions et de surprise. L’amour romantique peut amener le couple amoureux à se dépasser pour se retrouver et à briser les chaînes des traditions, à aller au-delà des luttes de clans, de hiérarchie, de pouvoir. Dans ce sens, l’amour romantique sublime la banalité, rend la vie plus féconde, plus riche et dès lors, cette vie mérite davantage d’être vécue. C’est donc un ingrédient qui donne du sens à la vie mais il ne dure pas comme nous allons le voir ci-dessous.

Dans la durée, l’amour romantique disparaît

‘Avec le temps va, tout s’en va’ disait Léo Ferré. On ne reste heureusement pas un amoureux romantique toute sa vie. Quand un couple s’installe, dans la durée, l’amour ne reste pas passionné et romantique. A force de côtoyer notre âme sœur, la passion et la fougue s’estompent. Et nous ne devons pas considérer cela comme un échec. Avec le temps, la relation d’un couple s’approfondit  se colore d’autres qualités : confiance, tendresse, complicité. Heureusement.

Quand on est adolescent, notre cœur peut s’emballer sur un rythme simple et dynamique. Mais avec l’âge, on va préférer quelque chose de plus sophistiqué, de plus complexe. De la même manière, les relations au début, en caricaturant ressemblent à la musique pour ado. Et on finit avec Musique 3. Trouvez-vous cela négatif ?