Une condition de survie

“Une société doit progresser pour survivre”. Cela parait une platitude d’affirmer cela mais ce n’est pas simple de démontrer ces propos. Après tout, des sociétés primitives vivent à l’époque actuelle de la même manière qu’on vivait à l’époque des chasseurs-cuilleurs. Et pourtant, il en subsiste actuellement, plusieurs milliers d’années plus tard. D’accord, mais reconnaissons que ces sociétés constituent l’exception. Pour les quelques tribus qui survivent, la majorité ont été décimées par des guerres, des maladies ou assimilées par d’autres sociétés. Si le progrès n’existait pas, ce site n’existerait pas non plus. (Et ce dernier argument devrait suffire à étouffer tout débat sur la nécessité de progresser !)

Le progrès, une arme à double tranchant

En progressant, la société fait face à de nouveaux défis. En se sédentarisant, une multitude de nouvelles maladies, provoquées par la proximité des bêtes et des hommes, a vu le jour. Avec la découverte de la roue et du fer, des guerres de conquête plus sanglantes sont apparues. La révolution industrielle du charbon puis du pétrole ont permis les guerres industrielles et des déséquilibres écologiques. Ensuite, la découverte de l’énergie nucléaire et en particulier de la  fission nucléaire ont conduit à la conception des premières bombes nucléaires.

Louis Vuitton - Paris

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La colonisation de nouvelles planètes

Avant d’aller plus en avant, je vous propose de fixer le décors avec ce magnifique morceau de Hans Zimmer “Day one dark”  tiré du film “Interstellar”

 

Ce film réalisé par Christopher Nolan raconte la conquête de nouveaux mondes pour sauver l’humanité.

“Caves d’acier” (The Caves of Steel) de Isaac Asimov

Dans les “Caves d’acier” (The Caves of Steel) de Isaac Asimov, la planète Terre croule sous la pression démographique. Les gens sont obligés de manger des levures synthétiques dans des grandes cantines. Ils n’osent plus vivre à l’air libre et vivent dans des sous-terrains, les cavernes d’acier. Par contraste, les ‘Spatiens’ vivent sur des planètes colonisées. Pour eux, la situation est à l’opposée : leurs planètes sont peu peuplées et la population est très stable. Les Spatiens sont de grands propriétaires terriens qui jouissent d’un grand confort car toutes les tâches domestiques sont confiées à des robots. Les Spatiens passent pour des êtres prétentieux et arrogants auprès de la population humaine qui ne comprend pas pourquoi ils sont venus installés une colonie sur Terre.

Les cavernes d'acier

Les cavernes d’acier

 

Ci-dessous, c’est le dialogue clé entre “Elijah Bailey”, le héros chargé d’enquêter sur le meurtre d’un Spatien et le Dr Falstolfe, un Spatien :

– Ecoutez! répliqua Baley. Du moment que nous nous parlons si librement, laissez-moi vous poser une question très simple : pourquoi, vous autres Spaciens, êtes-vous donc venus sur Terre ? Pourquoi ne pouvez-vous pas nous laisser tranquilles ?

– Permettez-moi à mon tour de répondre par une question, fit le Dr Fastolfe, manifestement très surpris. Etes-vous réellement satisfait de l’existence que vous menez sur Terre ?

– Ca peut aller !…

Epuisement des ressources

– Sans doute. Mais pour combien de temps encore ? Votre population ne cesse de croître, et le minimum de calories ne peut lui être fourni qu’aux prix d’efforts toujours plus pénibles. La Terre est engagée dans un tunnel sans issue, mon cher monsieur !

– Nous nous en tirons quand même, répéta Baley, obstinément.

– A peine. Une Cité comme New York doit faire des prodiges pour s’approvisionner en eau et évacuer ses détritus. Les centrales d’énergie nucléaire ne fonctionnent encore que grâce à des importations d’uranium de jour en jour plus difficiles à obtenir, même en provenance des autres planètes, et cela en même temps que les besoins augmentent sans cesse. L’existence même des citoyens dépend à tout moment de l’arrivée de la pulpe de bois nécessaire aux usines de levure, et du minerai destiné aux centrales hydroponiques. … . Que surviendrait-il si jamais le formidable courant d’air frais introduit et d’air vicié évacué s’arrêtait, ne serait-ce qu’une heure ?

– Cela ne s’est jamais produit !

– Ce n’est pas une raison pour qu’il n’arrive rien de tel dans l’avenir. Aux temps primitifs, les centres urbains individuels pouvaient virtuellement se suffire à eux-mêmes, et vivaient surtout du produit des fermes avoisinantes. Rien ne pouvait les atteindre que des désastres subits, tels qu’une inondation, une épidémie, ou une mauvaise récolte. … . A l’Epoque Médiévale, les villes ouvertes, même les plus vastes, pouvaient subsister au moins pendant une semaine sur leurs stocks, et grâce à des secours d’urgence. Quand New York est devenu la première Cité moderne, elle pouvait vivre sur elle-même pendant une journée. Aujourd’hui, elle ne pourrait pas tenir une heure. Un désastre qui aurait été un peu gênant il y a dix mille ans, et à peine sérieux il y a mille ans, serait devenu il y a cent ans quelque chose de grave; mais aujourd’hui, ce serait une catastrophe irrémédiable.

– On m’a déjà dit ça, répliqua Baley, qui s’agita nerveusement sur sa chaise. Les Médiévalistes veulent qu’on en finisse avec le système des Cités; ils préconisent le retour à la terre et à l’agriculture naturelle. Eh bien, ils sont fous, parce que ce n’est pas possible. Notre population est trop importante, et on ne peut, en histoire, revenir en arrière; il faut, au contraire, toujours aller de l’avant. Bien entendu, si l’émigration vers les Mondes Extérieurs n’était à ce point limitée…

– Vous savez maintenant pourquoi c’est nécessaire.

– Alors, que faut-il faire ? Vous êtes en train de brancher une canalisation sur une ligne électrique qui n’a plus de courant…

Pouquoi ne pas coloniser de nouveaux mondes ?

– Pourquoi ne pas émigrer vers de nouveaux mondes ? Il y a des milliards d’étoiles dans la Galaxie; on estime qu’il doit y avoir cent millions de planètes habitables, ou que l’on peut rendre habitables.

– C’est ridicule.

– Et pourquoi donc ? riposta Fastolfe avec véhémence. Pourquoi cette suggestion est-elle ridicule ? Des Terriens ont colonisé des planètes dans le passé. Plus de trente, sur les cinquante Mondes Extérieurs, y compris la planète Aurore où je suis né, ont été colonisées directement par des Terriens. La colonisation ne serait-elle donc plus chose possible pour vos compatriotes ?

– C’est-à-dire que…

– Vous ne pouvez pas me répondre ? Alors, permettez-moi de prétendre que, si ce n’est en effet plus possible, cela tient au développement de la civilisation des Cités terrestres. Avant que celles-ci se multiplient, l’existence des Terriens n’était pas réglementée au point qu’ils ne pussent s’en affranchir ni recommencer une autre vie sur un territoire vierge. Vos ancêtres ont fait cela trente fois. Mais vous, leurs descendants, vous êtes aujourd’hui si agglutinés dans vos cavernes d’acier, si inféodés à elles, que vous ne pourrez jamais plus en sortir. Vous-même, monsieur Baley, Vous vous refusez à admettre qu’un de vos concitoyens soit capable de traverser seul la campagne pour se rendre à Spacetown. A fortiori, traverser l’espace pour gagner un monde nouveau doit représenter pour vous une improbabilité cent fois plus grande. En vérité, monsieur, le civisme de vos Cités est en train de tuer la Terre.

– Et puis après ? s’écria Baley rageusement. En admettant que ce soit vrai, en quoi cela vous regarde-t-il ? C’est notre affaire, et nous résoudrons ce problème ! Et si nous n’y parvenons pas, eh bien, admettons que c’est notre façon à nous d’aller en enfer !

– Et mieux vaut votre façon d’aller en enfer que la façon dont les autres vont au paradis, n’est-ce pas ? Je comprends votre réaction, car il est fort déplaisant de se voir donner des leçons par un étranger. Et pourtant, j’aimerais que, vous autres Terriens, vous puissiez nous donner des leçons, à nous Spaciens, car, nous aussi, nous avons à résoudre un problème, et il est tout à fait analogue au vôtre !

– Surpopulation ? fit Baley en souriant méchamment.

Sous-population chez les Spatiens

– J’ai dit analogue et non pas identique. Le nôtre est sous-population. Quel âge me donnez-vous ?

Le détective réfléchit un instant, puis se décida à donner un chiffre nettement exagéré : – Je dirai environ la soixantaine.

– Eh bien, vous devriez y ajouter cent ans!

– Quoi ?

– Pour être précis, j’aurai cent soixante-trois ans à mon prochain anniversaire. Je ne plaisante pas. J’utilise le calendrier normal terrien. Si j’ai de la chance, si je fais attention, et surtout si je n’attrape aucune maladie terrienne, je peux arriver à vivre encore autant d’années, et atteindre plus de trois cents ans. Dans ma planète Aurore, on vit jusqu’à trois cent cinquante ans, et les chances de survie ne font que croître actuellement. Baley jeta un regard vers R. Daneel, qui avait écouté impassiblement tout l’entretien, et il eut l’air de chercher auprès du robot une confirmation de cette incroyable révélation.

– Comment donc est-ce possible ? demanda-t-il.

– Dans une société sous-peuplée, il est normal que l’on pousse l’étude de la gérontologie, et que l’on recherche les causes de la vieillesse. Dans un monde comme le vôtre, prolonger la durée moyenne de la vie serait un désastre. L’accroissement de population qui en résulterait serait catastrophique. Mais sur Aurore, il y a place pour des tricentenaires. Il en résulte que, naturellement, une longue existence y devient deux ou trois fois plus précieuse. Si, vous, vous mouriez maintenant, vous perdriez au maximum quarante années de vie, probablement moins. Mais, dans une civilisation comme la nôtre, l’existence de chaque individu est d’une importance capitale. Notre moyenne de naissances est basse, et l’accroissement de la population est strictement contrôlé. Nous conservons un rapport constant entre le nombre d’hommes et celui de nos robots, pour que chacun de nous bénéficie du maximum de confort. Il va sans dire que les enfants, au cours de leur croissance, sont soigneusement examinés, au point de vue de leurs défectuosités, tant physiques que mentales, avant qu’on leur laisse atteindre l’âge d’homme.

Contrôle des naissances et stabilité excessive

– Vous ne voulez pas dire, s’écria Baley, que vous les tuez, si…

– S’ils ne sont pas sains, oui, et sans la moindre souffrance, je vous assure. Je conçois que cette notion vous choque, tout comme le principe des enfantements non contrôlés sur Terre nous choque nous-mêmes.

Les cavernes d'acier

Les cavernes d’acier

– Notre natalité est contrôlée, docteur Fastolfe! Chaque famille n’a droit qu’à un nombre limité d’enfants. – Sans doute, fit le Spacien en souriant avec indulgence, mais à un nombre limité d’enfants de toutes espèces, et non pas d’enfants sains. Et, de plus, vous avez de nombreux bâtards, et votre population croît constamment.

– Et qui peut donc décider quels sont les enfants qu’on laissera vivre ?

– C’est assez compliqué, et je ne saurais vous le dire en quelques mots. Un de ces jours, nous en reparlerons en détail.

– Alors, je ne vois pas en quoi consiste votre problème, dit Baley. Vous me semblez très satisfait de votre société, telle qu’elle est.

– Elle est stable, et c’est là son défaut : elle est trop stable.

– Décidément, vous n’êtes jamais content! A vous entendre, notre civilisation décadente est en train de sombrer, et maintenant c’est la vôtre qui est trop stable

– C’est pourtant vrai, monsieur Baley. Voilà deux siècles et demi qu’aucun Monde Extérieur n’a plus colonisé de nouvelle planète, et l’on n’envisage aucune autre colonisation dans l’avenir : cela tient à ce que l’existence que nous menons dans les Mondes Extérieurs est trop longue pour que nous la risquions, et trop confortable pour que nous la bouleversions dans des entreprises hasardeuses.

– Cela ne me semble pas exact, docteur Fastolfe, car, en venant sur la Terre, vous avez risqué de contracter des maladies.

La voie du progrès : l’alliance des Spatiens et des Terriens

– C’est vrai. Mais nous sommes un certain nombre, monsieur Baley, à estimer que l’avenir de la race humaine vaut la peine que l’on fasse le sacrifice d’une existence confortablement prolongée. Malheureusement, j’ai le regret d’avouer que nous sommes trop peu à penser cela.

– Bon! Nous voici parvenus au point essentiel en quoi les Spaciens peuvent-ils améliorer la situation ?

– En essayant d’introduire des robots sur Terre, nous faisons tout notre possible pour rompre l’équilibre de votre économie.

– Voilà, certes, une étrange façon de nous venir en aide! s’écria Baley dont les lèvres tremblèrent. Si je vous comprends bien, vous vous efforcez de provoquer exprès la création d’une catégorie de plus en plus importante de gens déclassés et de chômeurs ?

– Ce n’est, croyez-moi, ni par cruauté ni par manque de charité. Cette catégorie de gens déclassés, comme vous dites, nous en avons besoin pour servir de noyau à des colonisations nouvelles. Votre vieille Amérique a été découverte par des navigateurs dont les vaisseaux avaient pour équipages des galériens tirés de prison. Ne voyez-vous donc pas que la Cité en est arrivée à ne plus pouvoir nourrir le citoyen déclassé ? En quittant la Terre, non seulement il n’aura rien à perdre, mais il pourra gagner des Mondes Nouveaux.

– C’est possible, mais nous n’en sommes pas là, tant s’en faut !

– C’est hélas vrai! soupira tristement le Dr Fastolfe. Il y a quelque chose qui ne va pas : c’est la phobie qu’ont les Terriens des robots qui paralyse tout. Et pourtant, ces robots qu’ils haïssent pourraient les accompagner, aplanir les difficultés de leur première adaptation à des Mondes Nouveaux, et faciliter la reprise de la colonisation.

– Alors quoi ? Il faut laisser l’initiative aux Mondes Extérieurs ?

cavernes-dacier-4Les cavernes d'acier

– Non. Ceux-ci ont été organisés avant que la civilisation basée sur le civisme se soit implantée sur la Terre, avant la création de vos Cités. Les nouvelles colonies devront être édifiées par des hommes possédant l’expérience du civisme, et auxquels auront été inculqués les rudiments d’une culture C/Fe. Ces êtres-là constitueront une synthèse, un croisement de deux races distinctes, de deux esprits jadis opposés, et parvenus à s’interpénétrer. Dans l’état actuel des choses, la structure du Monde Terrestre ne peut aller qu’en s’effritant rapidement, tandis que, de leur côté, les Mondes Extérieurs dégénéreront et s’effondreront dans la décadence un peu plus tard. Mais l’édification de nouvelles colonies constituera au contraire un effort sain et salutaire, dans lequel se fondront les meilleurs éléments des deux civilisations en présence. Et, par le fait même des réactions qu’elles susciteront sur les Vieux Mondes, en particulier sur la Terre, des colonies pourront nous faire connaître une existence toute nouvelle.

– Je n’en sais rien ; tout cela me paraît bien nébuleux docteur Fastolfe! dit Baley.

– Je sais que c’est un rêve, monsieur Baley, mais veuillez prendre la peine d’y réfléchir, répliqua le Spacien en se levant brusquement. Je viens de passer avec vous plus de temps que je ne l’escomptais ; j’ai, en fait, dépassé les limites que nos règlements sanitaires imposent à ce genre d’entretien. Vous voudrez donc bien m’en excuser ?..

L’intérêt du progrès

Rappelons que ce livre a été publié en 1953. Notre population mondiale s’élève désormais à 7,4 milliards d’habitants. Désormais, une population mondiale de 8 milliards d’habitants paraît abordable sans devoir manger des levures synthétiques. Néanmoins, cet article montre que l’idée d’épuisement des ressources développée dans le livre est tout de même connectée à la réalité.  Confronté à ces nouveaux défis, la mauvaise réaction est de refuser le progrès et essayer de retrouver le mode de vie d’antan. Dans l’extrait du livre, c’est le point de vue représenté par les “Médiévalistes”.

Une surpopulation écrasante ou une sous-population trop stable sont deux facteurs qui bloquent le progrès dans le roman. La proposition est donc de rompre l’équilibre des deux mondes pour avoir à nouveau un dynamisme, vecteur d’évolution et de progrès.