Conte philosophique sur le sens de la vie, le réel et le monde virtuel

Réel contre virtuel est un conte philosophique qui explore les liens entre le réel et le sens de la vie. Peut-on envisager qu’une vie vécue principalement dans un monde virtuel, ait autant de sens qu’une vie vécue de manière classique ?

Immersion avec un comte philosophique

Conte philosophique qui explore le sens de la vie dans un monde virtuel

2050, une réunion importante

Je m’appelle Lorenzo Gasparso. On est en 2050 et la scène se passe dans mon bureau, une jolie pièce bien décorée, avec des meubles en bois et une bibliothèque à l’ancienne, c’est-à-dire remplie de livres en papier. Pour beaucoup, la possession de ces livres en papier témoignait d’un certain snobisme. Mais moi, j’étais vraiment attaché à ces livres.

Mes interlocuteurs étaient assis dans mon bureau, à deux. Ils avaient pris rendez-vous pour négocier un agrandissement de leur centre virtuel à côté de ma ville natale Schaerboek, dont je suis le nouveau bourgmestre. Aimables, polis et ouverts, leur compagnie était agréable.

Cependant, c’est le fond du dossier qui allait me mettre mal à l’aise. Il y avait là des questions philosophiques, posées de manière simple mais pourtant difficiles à trancher. Et personne n’allait sembler en mesure de m’aider. Pour prendre cette décision, j’allais me sentir “seul face à la mer”.

Mais revenons à ma rencontre.

Une fois les échanges de politesses terminés et les cafés servis, il était temps d’entrer dans le vif du sujet.

Centre virtuel (CEVI)

Le porte-parole du ministre de l’intérieur, Daviso parlait avec aisance, c’était un homme de taille imposante qui avait le regard droit :

– C’est maintenant la vingtième année du projet et on est en train de passer un seuil décisif. Actuellement, des centres de virtualisation existent dans tout le royaume et ils remportent toujours un succès croissant. Il ne s’agit plus de petits centres réservés à des jeunes délinquants, à des gens ayant fait de la prison ou à des anciens toxicomanes. Il y a maintenant des gens de toutes les couches de la société et les projets sur la plateforme sont de plus en plus innovants. Le monde développé dans nos Centres Virtuels (CEVI) devient incroyablement riche, il déborde de vitalité et les gens sont passionnés par ce qu’ils font.

Monde virtuel lugubre ?

– Oui, je les connais, ces centres, lui répondis-je. Vous m’avez déjà fait visiter celui sur le territoire de ma ville. Et je trouve qu’il y a un côté … euh… cela ne va pas vous plaire mais je vais quand même vous le dire: un côté lugubre à vos centres. Les gens qui s’y trouvent sont connectés presque toute la journée avec un casque sur la tête. Ils vivent dans un petit espace et n’auront pour la plupart, pas de famille et pas d’autre avenir que de rester dans ces centres.

Lugubre ou futuriste ?

Lugubre ou futuriste ?

Daviso hocha la tête, impassible. Il avait déjà entendu de nombreuses fois cet argument et se sentait en terrain connu. Ensuite, il reprit tranquillement le fil de son argumentation.
– De l’extérieur, beaucoup de choses peuvent sembler ingrates, mais les gens qui vivent dans ces centres sont heureux, les IRM cérébraux réguliers que nous leur soumettons montrent qu’il y a un taux de bonheur-satisfaction plus élevé que dans le monde réel d’en moyenne 18 %, avec une marge d’erreur de 3%. Dans la plateforme à laquelle ils se connectent, ils participent à  toutes sortes de projets. Il y en a vraiment pour tous les goûts.

– A quel genre de projet participent-ils ? Leur demandai-je.

Solidarité et virtuel

Daviso se tourna vers Rubic, l’expert informatique qui se redressa sur son siège. Ce dernier, habitué aux longs monologues de son collègue Daviso, ne s’attendait visiblement pas à devoir prendre si vite la parole.

– Eh bien euh… ces dernières années, commença-t-il en déposant sa tasse, nous avons constaté que deux facteurs entraînaient une cohésion forte parmi les Cévinois. Avec pour résultat, une motivation plus grande, plus de créativité et un taux d’abandon réduit de 22 %. Ces deux facteurs sont d’une part, le développement de projets qui leur laissent une part de créativité forte et d’autre part, un sentiment d’appartenance au centre dont ils sont issus. Les Cévinois d’un même centre développent un esprit d’équipe entre eux, une solidarité s’installe.

– Mais quel genre de projets ?

Le monde virtuel offre des possibilités illimitées

Le monde virtuel offre des possibilités illlimitées

Le monde virtuel offre des possibilités illimitées

– Tout est virtuel bien entendu, continua Rubic sur un ton pressé, mais leur sentiment de participer à quelque chose de concret est bien réel. Nous leur proposons des tas de projets à réaliser ensemble. Sur la plateforme, tout est possible. La majeure partie des projets sont des jeux vidéos avec des missions. Il faut par exemple, aller libérer un personnage capturé, trouver de l’or dans les montagnes, trouver des herbes rares pour développer des médicaments, créer des usines, construire des nouvelles machines : des avions, des tanks, des bateaux… Tout est possible dans le monde virtuel.  Vous n’imaginez pas à quel point ce monde s’est enrichi ces dernières années. C’est devenu l’empire de l’imagination, il n’y a plus aucune limite et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle de plus en plus de gens veulent y participer. Figurez-vous que…

– Tout cela a l’air fort prometteur ! lui coupai-je la parole. Je voulais rester actif dans la discussion, et ne pas me sentir comme un touriste à qui on vend des tapis. Et ne pensez-vous pas que ces gens ont un sentiment de solitude intense une fois que le jeu s’arrête ?

Le sentiment de solitude quand le jeu s’arrête

Solitude

Solitude

Daviso reprit la parole avant son collègue, sur un rythme plus mesuré.

– C’est une excellente remarque que vous faites là. Il ne lui avait pas échappé que le ton précipité de son collègue Rubic suscitait chez moi un réflexe défensif. Ce sentiment de solitude était bien réel, continua-t-il, et a été constaté par les équipes d’encadrement et leurs robots. Pour cette raison, nous avons favorisé l’émergence de communautés dans les plateformes en fonction du CEVI auquel ils appartiennent. Autrement dit, deux personnes sur la plateforme savent instantanément reconnaître si une autre personne vient du même Centre Virtuel.

– Ah bon ? Comment cela se passe-t-il ?

– C’est très simple: on a placé sur tous les avatars, un signal qui ne s’allume que pour deux personnages d’un même CEVI. Ainsi, quand ils sont connectés au monde virtuel, ils peuvent reconnaître les autres membres du même CEVI. Et le midi, pendant leur pause dans le parc, ou le soir au moment du couvre-feu, ils savent se retrouver physiquement et ont un moment pour parler de leurs expériences ensemble, cette fois en réel.

Un parc pour se déconnecter

– Ils ont un parc maintenant ?

– Oui, pour respirer le bon air, marcher un petit peu, reposer leurs yeux, bref pour se déconnecter.

– Ils sortent un peu de Matrix ? Leur demandai-je

– …

Evidemment, ils n’ont pas vu ce très vieux film culte du siècle dernier, pensai-je en soupirant. Et avant que la mélodie “De mon temps, tout était mieux” ne lance un tour de manège dans ma tête, je leur demandai:

– Mais finalement, d’où viennent tous ces centres ? Et comment sont-ils financés ?

La genèse des CEVI

Daviso était visiblement content d’avoir un auditeur attentif et curieux. Il était habitué à plus d’agressivité de la part de ses interlocuteurs, une agressivité qui s’estompait d’ailleurs parfois quand il faisait miroiter un petit dessous de table.

– Au départ, il s’agissait du travail expérimental d’une start-up qui voulait proposer un nouveau type de prison, axée sur la reconversion des malfrats. Brancher les criminels sur un monde virtuel était une brillante idée on a vite remarqué que parmi eux il y avait “de bons clients”. Des gens fascinés par un monde qu’ils ne connaissaient pas. Grâce au concours de quelques psychologues, des programmes de réinsertion ont été développés afin de les réintégrer dans la société.

– Cela a l’air bien, mais est-ce que cela a donné de bons résultats ? Lui demandai-je.

– Oui, meilleurs que ce qu’on espérait. répondit Daviso le doigt levé comme s’il montrait le haut d’une courbe sur un graphique. Dans les programmes de réalité virtuels proposés, ils apprenaient, par exemple, à travailler en équipe, à gérer un budget, à respecter des règles. Bref à bien vivre en société. Et s’ils suivaient bien certains programmes, ils pouvaient gagner des points qui leur donnait des brevets.

Daviso écarta les mains comme s’il tenait une boule lumineuse pour expliquer la suite. Il était lui-même galvanisé chaque fois qu’il racontait ce qu’il appelait “la genèse” des Centres Virtuels.

– Ainsi, continua-t-il,  en quelques années, parmi les malfrats, certains ont changé de façon profonde et ont pu se réintégrer sans peine dans notre société. Ce fut un grand succès! Tellement grand que certains ne voulaient plus quitter leur CEVI.

Les Cevi, une solution pour des fléaux de notre société ?

– Ces derniers étaient prêts à beaucoup pour continuer à vivre dans le centre. Ils rêvaient même d’un monde virtuel où ils pouvaient tout recommencer. Ce fut le début d’une aventure phénoménale. La start-up a commencé à trouver des emplois virtuels pour d’autres entreprises pour cette main d’oeuvre bon marché. Au début, leurs services étaient par exemple, d’agir dans d’autres jeux virtuels existant déjà pour des missions simples. Par exemple, pour jouer des méchants ou des mercenaires. Mais petit à petit la start-up s’est mise à développer son propre monde virtuel.

– Donc au départ, les CEVI étaient prisons ? Je me surprenais à utiliser leur jargon.

– Oui, mais très vite, on s’est rendu compte, qu’en plus de la criminalité, ces CEVI offraient la solution à 2 autres grands problèmes de notre bonne vieille Terre : la surpopulation et le chômage. Dans les CEVI, tout est préparé pour vous, vous ne devez plus vous soucier de rien. Des robots font les tâches ménagères et la cuisine. Presque tout l’entretien se gère de façon autonome dans le centre. Cela explique que une fois entrés dans un CEVI, 30% ne souhaitent plus en sortir, et depuis ce chiffre n’a fait qu’augmenter, on est maintenant à 90%. Et petit à petit, le monde extérieur apparaît de plus en plus étranger et inquiétant aux Cévinois. De moins en moins de monde souhaite quitter le cocon d’un CEVI. Et cerise sur le gâteau, le taux d’emploi dans un CEVI y est de 100 %.

Agrandir mon Centre virtuel ?

– ils ne font que s’amuser dans des jeux vidéo?

– Non, on a développé aussi des programmes afin qu’ils puissent rendre des services à des sociétés informatiques extérieures, intervint Rubic. Avec cela, ils gagnent des “CEVIDOL”, une monnaie locale, avec laquelle ils peuvent avoir certains avantages.

– Et aujourd’hui, vous avez besoin de mon accord pour agrandir le centre ?

– Oui mais pas seulement, reprit Daviso, nous avons également amené 3 curriculum vitae de personnes qui ont été choisies pour rejoindre notre centre mais désormais, pour chaque engagement, on a besoin de votre aval.

– Maintenant, ce ne sont plus les gens eux-mêmes qui décident de venir ? demandai-je surpris.

– Non, elles sont choisies par notre intelligence artificielle. Ce sont des personnes qui sont en décrochage, elles ont perdu leurs repères et on pense qu’elles pourraient tomber en dépression, dans l’alcoolisme ou une autre forme de dépendance d’après leurs derniers commentaires sur les réseaux sociaux.

– Et vous avez besoin de mon accord ? demandai-je encore Même si je connaissais déjà la réponse, je voulais refaire le tour de la question.

Veto possible

– Oui, c’est la nouvelle loi : ces centres constituent un changement profond de notre société. Et comme c’est vous, l’élu du peuple, le gouvernement national vous laisse la possibilité de mettre votre veto. L’idée est d’appliquer la démocratie. Si vous signez, c’est comme une validation de ce nouveau type de société par un représentant du peuple.  Une société qui “virtualise” une partie la vie d’une partie de ses citoyens.

– Mais vous rendez-vous compte que la vie de ces gens sera largement déconnectée du réel. Quel sens cela a-t-il ?

– Est-ce que le réel apporte du sens en soi?

Cette réponse du tac-o-tac mais laissa perplexe.

La vraie vie

– Tout de même, sentir l’odeur de la mer, marcher pieds nus dans l’eau glacée, voire un beau couché de soleil, voilà la vraie vie !

“Mais nous avons presque tout cela au centre :” interrompit Rubic, “des odeurs naturelles et artificielles. Certains jeux vidéo permettent des expériences esthétiques hors norme, c’est parfois mieux que dans la réalité. Les progrès sont fulgurants. Vous avez peut-être encore ce souvenir en mémoire. Rubic me glissa une tablette sous le nez :

– Depuis lors, on fait quarante mille fois mieux, poursuit-il avec un large sourire, vous sentez les odeurs, vous avez la réelle sensation de voler, vous avez la sensation de froid, de chaud, de liquide, de visqueux, vous sentez le vent. Vous n’imaginez pas tout ce que la technologie peut maintenant réaliser. Une partie de nos perceptions est plus vive et plus saisissante dans le monde virtuel.

Un silence suivit. Cela faisait beaucoup d’informations en une fois et il était temps pour moi de mettre un terme à l’entretien pour remettre de l’ordre dans mes idées.

– Bien Messieurs, je vais examiner ces 3 CV attentivement et vous donner ma réponse pour la semaine prochaine.

Quand je revins à mon bureau, je soupirai et commençai à jeter un œil sur les trois CV. Que faire ? 

Dublin - Irlande - Librairie au Trinity College - CEVI

Dublin – Irlande – Librairie au Trinity College – CEVI

J’appuyai un bouton sur mon bureau et demandai à ma secrétaire un petit cappuccino, c’était mon ablution personnelle avant une réflexion intense.

 

Suite au prochaine épisode

 

Merci à Robert Lukeman Samuel Zeller Jeremy Bishop Sweet Ice Cream Photography pour leurs photos magnifiques !